Pourquoi j’aime le Jazz ?

Une histoire du jazz racontée et jouée avec passion par Antoine Hervé.

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Antoine Hervé:

Bonjour, bienvenue,
Alors je suis là pour tenter de vous expliquer deux trois choses sur précisément pourquoi j’aime particulièrement le jazz.
Le jazz peut paraître comme une musique en fait très récente, ça a à peu près une centaine d’années et l’histoire est intéressante et très déterminante en fait.

Ça a commencé à la Nouvelle-Orléans. L’ancêtre du jazz c’est le blues. Le blues qu’on peut jouer au piano aujourd’hui d’une manière très différente de ce qu’il était au début puisqu’au début c’était du chant, puis éventuellement un peu de guitare, un peu de percussions et après est apparu le piano, et avec le blues au piano, on a déjà commencé à sophistiquer l’harmonie… [blues]

Alors tout comment à la Nouvelle-Orleans, c’est un petit peu une explosion où vous avez trois communautés qui vont se rencontrer, s’affronter et finir par créer quelque chose d’entièrement nouveau.

La première communauté, elle habite le centre ville de la Nouvelle-Orléans, c’est la communauté créole. Leurs géniteurs sont des aristocrates français qui leurs apprennent les bonnes manières, à jouer de la clarinette, du violon, à lire la musique et à connaître les subtilités de la musique occidentale, la musique européenne, Chopin, Bach, Mozart. Ils sont très fières de ce savoir et de leur teint clair.

La deuxième communauté, c’est celle qui habite les faubourgs tout autour, c’est une communauté panafricaine en fait qui se retrouvait complètement perdu en Amérique, à l’insu de leur plein gré, si l’on peut dire, et qui n’a pas du tout choisi d’être là mais qui amène sa culture et ça c’est une culture totalement différente d’origine africaine. Je parle bien des noirs américains. Leur culture à la base est faite de danses, de percussions, de chants et surtout de cette culture de la transe. Il n’y a pas le même rapport au savoir qu’en occident, il y a un rapport essentiellement basé sur l’intuition, la danse et la transe. Ça va être très important.
Un jour quelques députés, « european trash »  on peut dire, inventent des lois félonnes et décident de créer une ségrégation au centre ville de la Nouvelle-Orléans et mettre dehors également les créoles.

Les créoles se retrouvent en banlieue et clash avec les noirs, et décident finalement de mélanger l’apport d’une part de la culture et d’autre part de la nature et va se créer le Jazz.
Le jazz qui va être enrichi d’une troisième communauté, la communauté hispano, les latinos qui eux amènent des rythmes de la culture arabo-andalouse et particulièrement via la habanera.

Ces trois choses là vont donner une extrême richesse au jazz, et on va conserver une première valeur qui est une valeur de liberté.
Le jazz, depuis le début et jusqu’à maintenant est entièrement tourné vers la liberté d’exécution du musicien. C’est la base de l’improvisation bien entendu. Vous pouvez avoir une petite partition avec des repères, quelques accords et mélodies, mais c’est vous qui décidez complètement de ce que vous jouez contrairement à notre tradition à nous de musiciens dit classiques  sur partitions.

Il y a également une métaphore de la démocratie dans la façon de pratiquer le jazz en ensemble. Déjà on l’entend à la Nouvelle-Orléans, chaque instrument développe sa propre façon de jouer, son propre discours, mais tout fonctionne ensemble.  C’est merveilleux. On peut tous être différents mais habiter et fonctionner dans la même société.
Vous avez un tromboniste, par exemple, qu’est ce que va faire un tromboniste avec une coulisse ? Il va faire des glissendi, des glissendo je devrais dire. Un tromboniste va utiliser son trombone en tant qu’instrument pour faire des choses qui n’appartiennent qu’à lui.
Le clarinettiste à côté de lui va faire des arpèges, va faire beaucoup de notes. Il peut faire beaucoup de notes, ça va fonctionner avec le tromboniste, le batteur va fonctionner.
Soit dit en passant, la batterie arrive à point nommé pour modifier toute la musique populaire du XXe siècle. Un instrument comme la batterie modifie entièrement le paysage musical.

La batterie qui au début s’écoutait avec les oreilles bouchées. On se demandait vraiment ce que ça faisait là, ça faisait beaucoup de bruit, des cymbales, une grosse caisse, une caisse claire, on se bouche les oreilles. Mais voilà que la technologie fait avancer l’art et modifie profondément les habitudes des musiciens. Il se passe exactement la même chose depuis quelques décennies avec l’apparition d’un nouvel instrument qui est l’ordinateur.

L’ordinateur bouleverse de fond en comble l’expression musicale. Puisqu’il s’agit de ça, y compris du jazz. Mais on va conserver les valeurs premières de la liberté d’expression, on va conserver la métaphore de la démocratie où chacun peut de son ordinateur ou de son instrument générer sa propre expression mais ça fonctionne ensemble et surtout on va également conserver cette notion qui est dans le jazz qui est très importante, relier le corps et l’esprit et ça c’est une des principales raisons qui m’ont fait, moi, aimer le jazz.

J’ai étudié au conservatoire de Paris, avec des gens très intelligents, très cultivés, mais quand j’ai regardé comment fonctionnait la musique contemporaine, je me suis trouvé coupé, ce n’était que pure esprit, on ne parlait que de concepts, d’écriture, certaines œuvres étaient écrites non pas pour être jouées, juste pour être écrites, n’étaient pas destinées à être entendues. Ça, ça m’a choqué. Je pense que le corps et l’esprit doivent fonctionner ensemble et que le corps est la meilleurs thérapie possible pour soigner nos petits malheurs et pour soigner l’esprit justement.

Dans le jazz, il y a obligatoirement deux qualités pour pouvoir exercer le jazz. Un jazzman doit être à la fois conteur et danseur. Hors bien sûr si je suis sur mon piano, je ne suis pas en train de danser sur scène, je suis danseur dans l’âme. Je suis danseur dans l’intention. Tout ce que je joue rythmiquement sur mon piano peut faire danser quelqu’un ou peut être inspiré par les danseurs, et aussi, quand j’improvise sur un piano, je raconte une histoire. Je raconte une histoire, je suis conteur. Ce sont les apports de la culture africaine: le conteur et le danseur.

En Afrique on ne joue pas de la percussion pour soi, le plaisir de jouer de la percussion ou impressionner l’ennemi comme les percussionnistes de Napoléon, qui est la plus grande section rythmique de tous les temps. Enfin, dans les dix premières minutes de la bataille… Ils étaient un petit peu moins nombreux au bout des trois premières salves, mais on a tout de même en Afrique, la percussion sert à délivrer un message, la percussion parle et le message doit être un peu elliptique, ne doit pas tout raconter, parce qu’il y a cette notion, dans le jazz également qui vient de la culture africaine, de rester elliptique, de suggérer plutôt que de montrer ce que Gil Evans, l’arrangeur de Milles Davis, avait très bien exprimé en me disant:

« Tu sais Antoine, si on peut chanter ce que tu vas jouer, c’est pornographique, tu montres tout si tu le joues, il faut être érotique, il faut suggérer! »

Voilà pourquoi j’aime le jazz.

Alors il y a également dans le jazz un phénomène assez amusant. Chez nous, pour faire court, parque le temps passe très vite, chez nous les points forts, les temps forts rythmiques dans une mesure à quatre temps sont les 1 et 3.

[Au claire de la lune, joué en accentuant les temps forts, 1 & 3.]

Vous entendez un tuba jouer, il fait toujours 1 2 3 4…

Dans le jazz, remarquez c’est normal, ça a été créé de l’autre côté de la planète, donc les temps forts c’est l’after beat, c’est 1 2 3 4.

Alors là pour terminer, je vais vous jouer un morceau de ma composition mais je vais vous demander un petit coup de main. Pour bien sentir à quel point ça fait rebondir et envie de danser le fait de jouer sur 2 & 4, je vais vous demander de m’accompagner:

1 2 3 4 | 1 2 3 4…

[un petit rythme’n blues improvisé…]

Thank you ! Merci beaucoup ! Merci à vous !

Vidéo proposée par Wiki Stage.

Antoine Hervé est un pianiste, compositeur, chef d’orchestre, producteur, éditeur… Il a dirigé l’Orchestre National de Jazz de 1987 à 1989, et a collaborer avec Randy Brecker, Toots Thielemans, Quincy Jones et Gil Evans, et bien d’autres…

Je vous recommande vivement une petite visite sur son site (www.antoineherve.com) et ses excellentes leçons de jazz dans le pianiste magazine (www.pianiste.fr).

25 mai 2015

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